Les migrants en Méditerranée : des solutions inefficaces ou contre-productives (J-P Gourévitch)

La presse qui a largement commenté les drames des migrations irrégulières en Méditerranée s’est en revanche peu interrogée sur la diversité des motivations et l’efficacité des solutions proposées par l’Union Européenne.

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Les flux migratoires en Méditerranée : approche quantitative et qualitative

Sur la base des quatre premiers mois de l’année 2015- des mois d’hiver dissuasifs avec mer forte et froide et tempêtes permanentes- l’Office des Migrations Internationales table sur 500.000 migrants qui prendront le risque de la traversée à partir du littoral Sud (Libye, Egypte, Syrie, Tunisie) contre 220.000 en 2014. Mais plusieurs experts estiment que si l’on ajoute le littoral Est (Turquie) et ceux qui attendent le moment le plus favorable, les candidats à l’émigration seront entre 1,5 et 2 Millions. Un flux annuel que l’Union Européenne ne peut absorber sans risques majeurs. Continue reading « Les migrants en Méditerranée : des solutions inefficaces ou contre-productives (J-P Gourévitch) »

Quatre ans après le Printemps Arabe : le Maroc, son Roi et son Premier Ministre (T. Wattelle)

Nous sommes heureux de publier ce billet proposé par Tancrède Wattelle, étudiant en troisième année à Sciences Po Paris.

 

Au pouvoir depuis 2011, les islamistes « modérés » du Parti de la Justice et du Développement (PJD) sont à nouveau dans l’œil du cyclone en raison de leur volonté de réformer le code pénal en y ajoutant des articles influencés par leur lecture de l’islam. Alors que ce projet avait été introduit dans l’esprit de la Constitution de 2011 pour combattre certains archaïsmes, notamment sur le viol, la société civile s’est mobilisée pour refuser les dispositions prévues par la révision du Code pénal, introduisant la criminalisation de la rupture publique du jeûne pendant le ramadan, du blasphème ou encore des circonstances atténuantes pour les crimes d’honneur. Cette polémique montre bien la diversité des forces à l’œuvre au royaume chérifien, qu’elles soient islamistes, démocrates, royales ou associatives. On constate rapidement un déséquilibre entre le pouvoir omniprésent du Palais et la marge de manœuvre des islamistes, rapidement mis au pas par Mohammed VI. En effet, alors que l’arrivée d’Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, au poste de Premier Ministre avait suscité craintes d’un côté et espoirs de l’autre, ces deux sentiments ne semblent plus prévaloir actuellement. Quatre ans après le Printemps Arabe au Maroc, quelles conclusions pouvons-nous tirer de l’évolution de la situation économique, sociale et géopolitique du pays ?

 

Le roi Mohammed VI (à droite) et Abdelilah Benkirane, mardi au palais de Midelt, sur les hauteurs de l'Atlas. Source

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L’armée yéménite divisée entre tribalisme et confessionnalisme (Pr Abderrahmane Mekkaoui)

Nous sommes heureux de publier ce texte du Pr Abderrahmane Mekkaoui (université Hassan II, Casablanca)

L’évolution du Yémen, après sa réunification, ne semble pas se faire loin des pressions tribales et confessionnelles. Cette lame de fond spécifique se retrouve jusqu’aux divers bataillons de l’armée, sans doctrine moderne. La guerre civile et l’offensive militaire de Ryad n’ont fait que renforcer davantage une telle singularité. Rendant cauchemardesque la vie au sein de la Felix Arabia.

S’il y a une armée arabe qui a une longue histoire derrière elle, c’est bien celle du Yémen. Voilà une armée qui a été créée en 1919, au lendemain du Premier conflit mondial. A l’époque, le Yémen était sous la coupe du Royaume Moutawakkilite. La partie septentrionale de ce pays arabe était soumise nominalement à l’Empire Ottoman jusqu’en 1918. L’Imam des Zaydites, Yahia Mohamed Hamid, était le commandant en chef de cette armée embryonnaire composée des grandes tribus. En signant des traités de défense avec l’Italie, le Yémen a pu maintenir ses frontières sauves malgré une défaite militaire contre l’Arabie Saoudite. En 1948, Ahmed, fils de l’Imam assassiné, devenu roi, a pactisé avec le bloc soviétique. Les Juifs yéménites ont joué un grand rôle dans la formation et l’armement des troupes équipées en matériel acquis aussi bien auprès de Moscou que de ses satellites. Ce royaume yezidite recrutait parmi les chiites Houthis et chaque tribu avait son propre bataillon dont le chef était nommé par l’Imam himself. Une telle situation rappelle, à bien des égards, celle qui avait prévalu dans le Royaume chérifien lors des 18ème  et 19ème siècles avec ses terres Makhzen et ses terres Siba.

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Vendre son royaume : la dernière tentation du prince désespéré

Thomas Flichy de la Neuville[1] nous envoie ce joli billet : merci à lui (en espérant que ce ne soit pas un sujet d’actualité de par nos contrées). La Vigie.

S’il est un sujet de dérision à l’encontre des Princes inaptes à la conduite de l’État, c’est bien la tentation qu’ils peuvent éprouver de vendre la charge qu’ils ne possèdent pas. L’on raconte ainsi que le général grec Lysimaque vendit son royaume pour un verre d’eau, puis déclara après avoir bu cette eau : « ah, Prince infortuné que je suis d’avoir perdu mon royaume pour un plaisir si chétif et de si peu de durée »[2]. L’on connaît également la supplication prêtée par William Shakespeare à Richard III « Mon royaume pour un cheval ». Il s’agissait ici de souligner une dernière fois la légèreté du monarque qui avait jadis usurpé du pouvoir au détriment de ses neveux Édouard V et Richard de Shrewsbury.

L’on se souvient que Louis II de Bavière – dans ses moments de lucidité – chargeait quelque savant de lui découvrir un pays où l’on pût régner sans constitution, ou bien songeait à vendre son royaume pour acheter une île déserte, où il aurait vécu seul avec ses pensées et son coiffeur. Chez les souverains désespérés, la vente du royaume apparaît en effet comme une façon de tirer définitivement le rideau. Kamehameha Ier, Roi de Haïti, aurait tenté de vendre sa couronne aux États-Unis. Mais cela n’advint point puisque la dernière Reine du lieu fut déposée par l’action combinée de la Dole Fruit Company et d’une escouade de fusiliers marins.

Il arrive pourtant qu’un royaume soit vendu. Il peut l’être aux enchères comme le fut l’Empire romain le 28 mars 193, ou bien en vertu d’un contrat, à l’instar du royaume d’Yvetot, vendu par Martin Ier à Pierre de Vilaines, moyennant la somme de 14 000 écus, ou bien de la Louisiane, vendue par Bonaparte aux États-Unis en 1803 pour 80 millions de francs.

Mais il reste une dernière façon plus pernicieuse de vendre un État, fut il vieux de mille ans : cela consiste à faire secrètement hommage à quelque puissance étrangère moyennant l’aliénation de ses libertés, de sa politique étrangère ou bien d’un pan quelconque de sa souveraineté. A ce jeu de dupes, les plus fins sont souvent les premiers trompés et lorsqu’ils se réveillent enfin, c’est pour s’apercevoir que leur maître a changé.

[1] Membre du Centre Roland Mousnier – Université de Paris IV Sorbonne.

[2] Brevi voluptate quantum regnum perdidi

Quelles solutions à la crise libyenne ?

La crise libyenne demeure pendante, s’enfonçant dans un chaos difficilement compréhensible. Il révèle les fondements tribaux de cet État mal construit et difficilement contrôlé par M. Kadhafi. Sa chute en 2011 a laissé place à un affrontement généralisé mais les racines tribales se compliquent récemment de l’émergence d’islamismes radicaux et combattants, Al Qaida et État Islamique. Dans le même temps, les trafics trans sahariens embrouillent une situation déjà très confuse. Ce tableau succinct rend particulièrement nécessaire l’étude de Gregor Mathias (professeur associé à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, membre du Centre Roland Mousnier – CNRS / Université de Paris IV – Sorbonne) et Thomas Flichy de La Neuville (professeur à l’Ecole Spéciale de Saint-Cyr, membre du Centre Roland Mousnier – CNRS / Université de Paris IV – Sorbonne). Nous sommes heureux de leur donner la parole au travers de cette note du groupe Synopsis. La Vigie

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Après l’opération Serval au Mali et la destruction de la base d’Al Qaïda dans l’Amettetaï, Aqmi a profité de la porosité des frontières pour se réfugier au sud de la Libye, région devenue incontrôlable depuis la chute de M. Kadhafi. Le redéploiement du dispositif militaire français dans la bande sahélo-saharienne d’Atar en Mauritanie, à Faya-Largeau au Tchad a permis à l’armée française de s’adapter aux mouvements et aux trafics d’armes des groupes armés terroristes du sud de la Libye et du Nord-Mali. Toutefois, les opérations de contrôle aux frontières (Passe de Salvador, trois frontières Mali-Niger et Burkina-Faso) ne s’attaquent pas aux causes du problème, puisque le sud de la Libye sert de base-arrière aux groupes armés islamistes. Dans ce contexte, comment stabiliser le foyer d’instabilité qui s’étend du nord du Mali au sud de la Libye ? La solution préconisée devra prendre en compte les spécificités d’un espace singulier marqué par la fragilité des équilibres économiques et humains. Cet espace est en effet marqué par l’importance du facteur tribal, la contamination de la zone par l’islam radical et l’existence de circuits commerciaux multiséculaires où se mêlent les échanges de biens de consommation et les trafics d’armes et d’êtres humains.
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La théorie mécaniste (Carole Stora-Calté)

 

Nous avons le plaisir de vous proposer ce texte Carole Stora-Calté(Diplômée Sciences Po – Sorbonne – Mines, en poste à la société de météorologie de France), qui s’intéresse à La théorie mécaniste, au fondement des représentations environnementales modernes et instrument de domination sur le monde. Elle y montre que depuis Descartes et Newton, nous avons été façonnés par une pensée mécaniste qui nous fait voir plus les éléments que les relations, ce qui nous empêche de comprendre la complexité actuelle. Nous la remercions vivement pour ce texte vivifiant. JDOK

 

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Résumé

Pour Lucia Dunn, professeur d’économie à la Northwestern University : « (les économistes) ont recours, dans leur travail, (à des) hypothèses de manière presque inconsciente. En fait, dans l’esprit de bon nombre d’économistes, il ne s’agit plus d’hypothèses, mais de représentations de la manière dont le monde fonctionne en réalité »1. C’est sur ce concept de représentations appliqué à l’environnement qu’il est intéressant de travailler, en considérant le système économique comme faisant partie d’un ensemble bien plus large qui inclut l’homme. Nous introduirons la notion de « représentations environnementales », c’est-à-dire des représentations de l’environnement prenant forme dans notre processus mental, pour envisager les rapports de l’homme à la nature.

Nous nous emploierons à montrer de quelle façon la vision socio-économique de notre société, que nous croyons objective, est profondément influencée par les théories élaborées par Descartes et Newton, révélatrices d’un certain rapport de domination au monde.

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